Il existe différents types de narrateurs en écriture : 1ère personne ou 3ème personne en focalisé (sous-entendu, on est dans la tête du personnage) ou narrateur omniscient. Ce dernier diffère des deux autres parce que là, au lieu d’être juste dans la tête d’un seul personnage, on va avoir un point de vue plus global sur la situation, voire on va jongler de tête en tête. Souvent, on entend que ce type de narration est déconseillé au débutant. Alors, vrai ou pas ?

C’est quoi un narrateur omniscient ?
Je vous renvoie à mon article de blog sur les différents types de narration, mais voilà, petit point de rappel.
On parle de narration omnisciente quand on n’est pas focalisé uniquement sur un personnage, pas uniquement de son point de vue à lui, mais qu’on va avoir un point de vue plus large
Un narrateur qui sait tout
En narration omnisciente, plutôt que d’être dans la tête d’un personnage et de coller à son point de vue durant une scène, on va avoir plutôt une sorte de caméra, qui surplombe les personnages et qui va de temps à autre « zoomer » sur un personnage ou sur un autre. Exemple :
« Les esclaves qui peinèrent pour creuser les nids de poulies furent protégés des archers par des boucliers amovibles en peau de bœuf tendue. Néanmoins beaucoup furent tués par des rochers projetés du haut du mur. Cela importait peu à Khitan. Ce qui comptait pour lui, c’était que les poulies, qui n’étaient pas protégées par un revêtement en fer, ne subissent aucun dégât.
Légende, David Gemmel
Après un dernier et long regard en direction des murs, il retourna vers ses quartiers pour donner ses instructions aux monteurs. Druss l’observa jusqu’à ce qu’il pénètre dans la ville de tentes qui couvrait maintenant la vallée sur plus de trois kilomètres. Tant de tentes. Tant de guerriers. Druss donna l’ordre aux défenseurs de s’asseoir et de se détendre tant qu’ils le pouvaient. Il pouvait voir la peur pointer sur leurs visages. »
On peut aussi avoir un narrateur qui va carrément surplomber la scène et faire une sorte de commentaire. Autre exemple :
« On a mis en avant de nombreux phénomènes — guerres, épidémies, visites surprises du fisc — pour démontrer l’intervention secrète de Satan dans les affaires humaines, mais à chaque expert en démonologie, on décerne par consensus à l’autoroute périphérique M25 de Londres une place dans le peloton de tête des pièces à conviction.
De Bons présages, Terry Pratchett et Neil Gaiman
Leur erreur, bien entendu, est de croire cette malheureuse route maléfique simplement à cause de l’incroyable carnage et des frustrations qu’elle engendre chaque jour.
En fait — peu de gens le savent ici-bas —, la M25 dessine le glyphe odégra, qui signifie dans la langue des Prêtres noirs de l’Ancienne Mu : Salut à toi, Bête immense, dévoreuse de mondes. Les milliers d’automobilistes qui enfument quotidiennement ses replis jouent le rôle de l’eau sur un moulin à prières et meulent une brume perpétuelle à légère teneur en Mal, qui pollue l’atmosphère métaphysique à des lieues à la ronde.
C’était une des grandes réussites de Rampa, elle avait demandé des années. Il y avait employé trois pirates informatiques, deux cambriolages, un pot-de-vin d’un montant raisonnable et, par une nuit de bruine où tout le reste avait échoué, deux heures dans un champ boueux, à déplacer les piquets de quelques petits mètres, cruciaux d’un point de vue occulte. En contemplant le premier bouchon de cinquante kilomètres, Rampa avait ressenti la chaude satisfaction d’une mauvaise action bien faite. »
Jongler entre les personnages
Un narrateur omniscient peut entrer dans la tête de différents personnages, on va donc avoir le point de vue d’un personnage, puis aller dans le point de vue de l’autre.
C’est super intéressant si vous voulez jongler d’un personnage à un autre au cours d’une même scène, et ça va nous permettre un certain nombre d’effets.
À quoi sert le narrateur omniscient ?
Donner une tonalité
Ce type de narration permet d’abord de donner une tonalité. Un narrateur qui chapeaute l’ensemble et qui va pouvoir donner des informations au lecteur, voire l’interpeller directement, ça donne tout de suite un genre.
C’est ce qui m’a marqué dans la série Artemis Fowl de Eoin Colfer :
« Étendue sur son lit, Holly Short bouillait d’une rage silencieuse. Ce qui n’avait rien d’inhabituel. D’une manière générale, les farfadets n’étaient pas réputés pour leur cordialité. Mais Holly était d’une humeur particulièrement détestable, même pour une fée. En langage plus technique, c’était une elfe, le mot “fée” étant un terme général. Elle était aussi farfadet, mais uniquement à titre professionnel. »
Artemis Fowl T1, Eoin Colfer
Comme pour De Bons présages, le narrateur a accès aux pensées du personnage, mais à un peu plus. Cette position lui permet de commenter l’action et les pensées du personnage et ici, d’ajouter une bonne touche d’humour.
L’ironie dramatique
Avoir un narrateur omniscient permet de jouer sur l’ironie dramatique.
L’ironie dramatique, c’est quoi ? C’est tout simplement quand le lecteur a un temps d’avance sur le personnage qu’il ou elle sait quelque chose que le personnage ignore. Et ça peut être très facilement mis en place en utilisant l’omniscient. Parce que ce narrateur sait des choses que les personnages ignorent, et qu’il a accès aux pensées de tous les personnages.
Une technique trop compliquée ?
Très souvent, quand on voit passer des articles ou des posts sur la narration omnisciente, c’est pour la déconseiller aux débutants. C’est une recommandation que j’aurais tendance à partager, parce que :
- C’est compliqué : C’est une technique qui est difficile à mettre en œuvre, parce que ça implique d’avoir un narrateur général qui a une voix distinctive, mais également des personnages qui auront la leur.
- C’est vite brouillon : conséquence de mon premier point, on se retrouve assez vite, à devoir jongler avec différents niveaux et différents points de vue. Assez rapidement, on peut s’emmêler les pinceaux.
- C’est dur à équilibrer : pour être bien exécutée, la narration omnisciente doit être fluide. Les transitions entre les points de vue doivent se faire de manière harmonieuse. Ce qui, quand on débute, n’est pas le plus évident.
- Ce n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent à lire : et oui, la narration omnisciente n’est pas la plus répandue, on a plus l’habitude des narrations focalisées, à la première ou à la troisième personne. Donc, on l’a moins lu, et on a en a moins l’habitude, on a moins les codes.
C’est moins dans les goûts de lecture, un truc à garder en mémoire si votre but, c’est d’être publié par exemple.
Alors, on bannit ?
En écriture, rien n’est totalement interdit et rien n’est absolument obligatoire (à part qu’il faut écrire ^^).
Je déconseille d’utiliser un narrateur omniscient si vous êtes débutant, parce que c’est une technique plus compliquée que la moyenne. Et, soyons honnêtes, si vous débutez, vous avez déjà pleeeein de techniques à travailler, à comprendre et à assimiler.
Cela dit, je n’interdis pas de l’utiliser, bien au contraire. Si ça vous tente, franchement faites-le. Testez et voyez ce que ça donne. Peut-être que ce sera la révélation et que vous serez super à l’aise avec ce type de narration. Peut-être que ça ne vous plaira pas du tout. Peut-être que ça marchera très bien pour un projet et pas du tout pour un autre.
Ou peut-être que vous vous rendrez compte que vous n’êtes pas obligé d’utiliser la narration omnisciente pour tout le roman. Vous pouvez juste écrire quelques passages et pour le reste, vous focaliser sur les personnages. Et je vais prendre comme exemple les premières pages de De Bons présages :
« Si l’on admet que l’Univers a été créé et n’a pas commencé officieusement, pour ainsi dire, les théories actuelles sur sa Création lui attribuent entre dix et vingt milliards d’années. Selon un calcul identique, on juge d’ordinaire que la Terre a quatre milliards et demi d’années.
De Bons présages, Terry Pratchett et Neil Gaiman
Ces estimations sont erronées.
Les Cabalistes du Moyen Âge ont évalué la date de la Création à 3760 avant J.-C. Les théologiens orthodoxes grecs remontaient jusqu’en 5508 avant J.-C.
Erreur, là aussi.
L’archevêque James Usher (1581-1656) publia en 1654 ses Annales Veteris et Novi Testamenti, qui suggéraient que le Ciel et la Terre ont été créés en 4004 avant J.-C. Un de ses collaborateurs poussa les calculs plus loin et put annoncer triomphalement que la Terre avait vu le jour le dimanche 21 octobre 4004 avant J.-C, à neuf heures du matin précises, parce que Dieu aimait travailler tôt, pendant qu’il se sentait frais et dispos.
Il se trompait également. De presque un quart d’heure.
Ces histoires de fossiles de dinosaures sont un canular, mais les paléontologues ne l’ont pas encore compris. Ce qui prouve deux choses :
D’abord, que les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : elles fonctionnent peut-être même en circuit fermé. Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers, mais à un jeu ineffable de Son invention, qu’on pourrait comparer, du point de vue des autres joueurs, (c’est-à-dire tout le monde) à une version obscure et complexe du poker, en chambre noire, avec des cartes blanches, pour des enjeux infinis, en compagnie d’un croupier qui refuse d’expliquer les règles et qui n’arrête pas de sourire.
Ensuite, que la Terre est Balance. »
Comme pour De Bons présages, le narrateur a accès aux pensées du personnage, mais à un peu plus. Cette position lui permet de commenter l’action et les pensées du personnage et ici, d’ajouter une bonne touche d’humour.